• Interview de La Féline, 28 mai 2015

    Interview de La Féline – 28 mai 2015 – Le Pop In.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de La Féline, 28 mai 2015

    « Adieu l’Enfance » étant un de nos albums préférés de ces dernières années, c’est donc avec un grand plaisir que nous avons rencontré Agnès Gayraud – La Féline, pour discuter de sa musique et de son parcours, de la sortie de son nouvel EP « Zone », de la scène française, de Cure et de Monochrome Set, mais aussi de Metallica et de Def Leppard, ou encore des mangas de Naoki Urasawa.

    Prochains concerts de La Féline à noter dans vos agendas :
       - 3 juin, festival Green Days (MONTBELIARD)
       - 14 juin, Nuits de Fourvière (LYON)
       - 17 juin, Petit Bain (PARIS), pour la première des "Goûters rock" [jeune public], un spécial rock'n'rolleuses, avec Bester Langs de Gonzaï.
       - 20 août, Bercy Village (PARIS)
       - 21 août, Petit Bain (PARIS)
       - 12 septembre, festival Les Belles Journées (BOURGOIN-JALLIEU)
       - 3 octobre, Le Rocher de Palmer (CENON)

    Pour suivre l'actualité de La Féline : https://www.facebook.com/lafelinemusic

    Baptiste & Gérald : Quel est ton parcours musical ?
    La Féline : Mon lien à la musique et aux chansons est assez primitif. Quand j'étais enfant, je m'enregistrais sur un petit enregistreur cassette, que ce soit a cappella ou avec des maracas. Ma mère n'est pas musicienne, mais elle chantait souvent. Avec mes sœurs et mon frère, tout le monde était très sensible à la musique, on pouvait pleurer ensemble en écoutant une chanson. Mais personne n'est artiste dans la famille, je n'ai pas eu de modèle de ce côté là. Et je pensais qu'il fallait donner des garanties de sérieux avant de se lancer là-dedans. J'ai fait des études, parce que ça m'intéressait bien sûr mais aussi pour rassurer tout le monde: « Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas faire artiste, je ne vais pas faire n'importe quoi! ». Mais depuis très jeune, la musique a été un désir et un besoin. J'en faisais enfant, j'avais des groupes au lycée, et j'ai commencé à en faire de façon plus engagée encore quand je suis arrivée à Paris au début des années 2000 pour mes études à Normale Sup. Je jouais dans un rade complètement pourri près de Luxembourg, qui a fermé depuis, j'avais même acheté la sono pour pouvoir jouer : quand ça a fermé, ils se sont tirés avec. A l'époque, je ne connaissais pas les endroits comme le Pop In où tu pouvais rencontrer des gens amateurs de musique. Je viens de province, je suis née à Tarbes, j'étais en classe prépa à Toulouse. Je ne connaissais pas le milieu de la musique ni les endroits branchés de Paris. C'est par MySpace que j'ai rencontré des gens qui partageaient mes préoccupations, je me souviens d'une discussion sur les Young Marble Giants qui m'a fait rencontrer des personnes avec qui je suis encore aujourd'hui très amie. A partir de 2008, je me suis appelée La Féline et j'ai sorti mes premiers EP. Le processus a été un peu lent car, en même temps, je rédigeais une thèse en philosophie, j'avais autre chose dans ma vie. Une fois ma thèse soutenue, j'ai pu me consacrer à mon premier album "Adieu l'enfance".

    B&G : Quelles ont été tes influences ? Groupes, artistes, albums, chansons ?
    LF : Un certain nombre ! C'est assez difficile d'ailleurs, de distinguer entre ce que tu as aimé, ce qui t'a vraiment influencé, ce qui s'entend dans ta musique aussi. Je crois que les Smiths ont beaucoup compté, pour ce parfait mélange émo et distancié à la fois, sec et existentiel. Et puis les Pixies aussi, les riffs de Joey Santiago, les mélodies torturées de Black Francis. Il y avait un garçon au lycée qui m'aimait bien et qui m'avait copié "Doolittle" sur cassette. Il avait écrit l'intégralité du tracklisting et des paroles sur une feuille A4 au stylo à encre bleue. C'était écrit avec beaucoup de soin et en même temps à peu près illisible. Je l'ai gardée longtemps cette feuille pliée en huit (pour rentrer dans la cassette). Bon avant ça, j'étais fan de métal! J'avais des tee-shirts Metallica, et une blouse d'école où j'avais reproduit – sur le dos – à l'encre de Chine la statue de la Justice effondrée de "And Justice for all", je ne rigolais pas. Plus petite, j'adorais aussi la variété 80's que j'entendais à la radio : Daho, Eurythmics, Elsa … "Nuit, Nuit tu me fais peur...", ça me faisait pleurer. Les chansons de "Adieu l'enfance" sont un peu une réminiscence de ces sonorités, qui correspondent à mon enfance, aux émotions que j'éprouvais devant ma radio : des mélodies naïves mais recherchées, un son de batterie caractéristique, des nappes de synthés comme dans Take my breath away de Berlin.

    G: La transition variété – metal – pop indé me rappelle mon propre parcours de jeune de Province dans les années 80.
    B: Alors là, j'apprends des trucs sur mon frère !
    LF : Oui, en Province, il y a un vrai rôle du metal ! J'écoutais beaucoup Metallica, Megadeth aussi. J'aimais le côté sombre, presque métaphysique des paroles. Je voulais à tout prix apprendre la partie de guitare du début de la chanson One, un morceau de leur album "And justice for all". J'avais douze ans, je m'étais fabriqué une guitare en carton, mais ça ne marchait pas. Alors ma mère a eu pitié et m'a offert une vraie guitare. Ensuite, au collège, j'ai formé un groupe de rock avec mes copines. On était chacune attitrée à un des gars de Metallica. Moi, j'étais censée être la copine du chanteur. Je suis toujours très amie avec celle qui assurait la batterie et qui vivait un peu comme une punition d'être obligatoirement la fiancée symbolique de Lars Ulrich! J'étais un peu autoritaire, peut-être, de lui imposer ça! (Rires) Après, je suis passée aux Breeders, Nirvana, PJ Harvey, Hole. Mon grand frère m'avait fait écouter "Harvest" de Neil Young, "Goo" des Sonic Youth. J'avais un attrait pour ce qui n'était pas mainstream, je prenais conscience qu'il y avait un rock underground. C'était peut-être relativement snob aussi (rires) ! J'ai découvert The Cure après (mon frère avait un copain curiste avec une énorme moumoute sur la tête), je trouvais ça extraordinaire. Plus tard, la personnalité et le jeu de guitare de Robert Smith m'ont beaucoup marquée.

    G : Ton adolescence métal, ça me rappelle la période pendant laquelle j'écoutais Def Leppard (rires) !
    LF : Ah oui! Je me rappelle de la pochette d'un de leurs albums avec une femme assise devant un miroir, qui, à une certaine distance, apparaissait comme une tête de mort, c'était gothico-kitsch mais j'aimais bien. Ensuite, j'ai eu accès à d'autres styles de musique, à une autre culture musicale. Je me suis rendue compte qu'il y avait une autre histoire du rock, faite des gens totalement méconnus du grand public mais qui avaient compté. Le dictionnaire du rock de Michka Assayas a été pour moi une mine. J'y ai découvert par exemple un de mes groupes fétiches, le Monochrome Set.

    B&G: C'est marrant que tu nous parles de Michka Assayas car on l'a interviewé l'an dernier (cf. notre interview de Michka Assayas) et il nous avait parlé de toi, en particulier de ta reprise de cette chanson du XVIII-ème siècle Le roi a fait battre tambour. Il nous avait dit que c'était le genre de choses qu'il avait envie d'entendre et aussi de faire : créer un courant folk français, au sens de reprendre des chansons traditionnelles et de les moderniser.
    LF : Oui, et nous en avons parlé ensuite, on fera sans doute quelque chose ensemble en ce sens un de ces jours.

    B&G : Parmi les artistes récents, il y en a qui t'ont marqué ?
    LF : Récemment, j'ai adoré l'album de Fever Ray, qui est sorti en 2009. C'est le projet solo  de Karin Dreijer Andersson de The Knife. Son album est extraordinaire, une alchimie parfaite entre quelque chose de très sombre, très nocturne, presque horrifique, mais avec d'excellentes chansons, composées, écrites.

    B&G : Dans la scène française, est-ce qu'il y a des groupes que tu écoutes ?
    LF : Bien sûr ! Mustang, par exemple. C'est un groupe que j'estime beaucoup, leur proposition est vraiment originale. La Princesse au Petit Pois, pour moi, c'est un des plus beaux morceaux français des cinq dernières années : il y a une audace, une singularité, avec un rythme extraordinaire à la Can. J'aime aussi Cléa Vincent et sa façon de chanter très directe, ses mélodies, ses choix d'arrangement, à la fois très immédiats et super fins. Ricky Hollywood bien sûr, avec qui j'ai travaillé – on sort bientôt une reprise de Burgalat d'ailleurs. J'aime bien le côté sombre aussi chez certains artistes. Pas quand ça prend la forme d'un cliché marketing pour faire vendre en se donnant l'air méchant, je trouve ça un peu ridicule là au contraire. Mais les choses vraiment deep, oui. Parce que ce n'est pas qu'une pose ce rapport à la tristesse, au désespoir. Notre génération de musiciens est probablement plus sombre que ne l'étaient nos semblables il y a quinze ans, compte tenu de la situation de la musique – et des musiciens – aujourd'hui. C'est la crise, personne ne bouffe – ou peu de gens – avec sa musique. Je regrette cette paupérisation bien sûr, mais sur un plan artistique, elle me semble produire des choses plus intenses. J'aime bien le morceau de Grand Blanc Samedi la nuit avec la façon qu'a le chanteur de dire « Reviens me chercher / Je ne veux pas finir aux objets trouvés ».

    Et parmi les plus marquants du côté sombre, pour moi, évidemment, il y a Mondkopf : son dernier album "Hadès", ses projets encore plus fous (Extreme Precautions). Il vient de faire un remix du titre Zone (extrait de l'album "Adieu l'enfance") pour l'EP qui sort le 1-er juin. Et c'est une beauté ! Dans la continuité, on prépare ensemble une petite collaboration qui devrait sortir à la rentrée...

    B&G : On parlait tout à l'heure des Cure et des Smiths. Comme dans les premiers Cure et chez les Smiths, ce qui ressort dans les morceaux de la Féline et aussi dans ce remix de Mondkopf, c'est une tension, mais sans énervement, une musique épurée, avec des effets de tourbillon, avec des espaces que chacun peut combler. C'est vraiment ce que tu as voulu ?
    LF : Au départ, je pense que c'est inconscient. Ensuite, je me le suis vraiment approprié. J'aime bien cette image du tourbillon, avec un côté aquatique. Comme des chutes d'eau. Je ne suis pas trop enragée ; je crois que je fais un truc plutôt empathique, je veux prendre les gens dans les bras. En live, je suis heureuse quand ça devient fusionnel. Mais j'aime aussi la tension, et la distance que met le côté cold-wave, car la vie est tendue, contradictoire. Ma musique restitue cette forme de contradiction, de déséquilibre, de sentiment d'attente et de surprise. De la tension qui n'est pas de la rage. C'est ce que j'aime aussi dans les chansons de Robert Smith, comme A Forest. Je ne suis pas une grande technicienne de la guitare mais j'aime créer des gimmicks, des ambiances. J'ai un goût du silence et de la respiration, parce que c'est exactement ce qu'on n'entend jamais dans les musiques de fond, qui sont conçues pour combler continument le vide. Un silence, au cœur de la musique, ça a une puissance inouïe. Ça permet de retenir l'attention, c'est presque théâtral en live. La musique, c'est du temps, et du temps brisé, pas continu. Quand tu écoutes la radio, tu entends plutôt un brouhaha continu, un bavardage. C'est important d'arracher parfois la musique à ce bavardage, à sa propre puissance de remplissage, qui finit par tourner à vide justement.

    B&G : Cela se ressent dans la structure de l'album. Il y a une alternance entre des morceaux tourbillonnants comme Adieu l'Enfance, tendus et sur le fil comme Dans le Doute, ou silencieux comme Rêve de Verre.
    LF : Oui. C'est une forme de recueillement. Dans Adieu l'Enfance, il y a aussi une sensation d'ivresse, d'expérience enfantine de la musique. Quand j'étais petite, je bougeais la tête, un peu comme les enfants abandonnés.

    B&G : Ton album nous a d'ailleurs fait penser aux mangas d'Urasawa (ndlr. l'auteur de "Monster", "20th Century Boys", "Pluto", "Billy Bat"), qui sont un mélange d'innocence et de tragique, de rêve et de réalité. Il y a un rapport au temps, à l'enfance.
    LF : J'adore Urasawa ! Cette comparaison me fait vraiment plaisir. J'avais beaucoup aimé une série de lui, "Monster", dans laquelle il est question d'un monstre sans nom : c'est très enfantin et très angoissant. Dans le morceau Adieu l'Enfance, j'ai essayé de faire parler une enfant, mais sans tomber dans la minauderie. Urasawa, c'est la profondeur, voire l'horreur, adultes, confrontées aux rêveries de l'enfance. C'est un peu aussi l'idée de Rêve de Verre : le rêve qui éclate et qui se retourne contre toi, le rêve qui devient sanglant.

    B&G : Pourquoi as-tu choisi de chanter en français ?
    LF : Au départ, je chantais en anglais. Mais quelques morceaux que j'ai faits en français, par exemple Mystery Train, fonctionnaient assez bien. Ensuite, avec La Nuit du Rat et Cœur Bizarre, j'ai eu l'impression de trouver une voie, qui n'était pas de la chanson française, une manière de chanter en français en valorisant les climats, sans que le texte tue l'ambiance. Quand on chante dans sa langue, il y a une vraie puissance, même si c'est plus difficile. Sur scène, je chante avec plus de conviction car je sais exactement ce que je dis, je vois les yeux des gens s’agrandir et leurs pupilles se dilater car ils suivent une histoire.

    B&G : On apprécie d'ailleurs beaucoup toute cette scène française actuelle, qui ne fait pas de la chanson « à texte » ou de la chanson engagée, mais qui fait de la vraie pop en français. En mettant en avant des mélodies et des ambiances, qui nous font découvrir des paroles, soit qui collent parfaitement à la musique, soit qui sont en décalage avec la musique. Comme chez les Smiths !
    LF : C'est vraiment ce que je voulais faire. Et c'est très difficile. Je voulais être sincère sans tomber dans les clichés de la sincérité. J'ai fait des études littéraires mais je n'avais surtout pas envie de faire une pop littéraire, maniérée et prétentieuse. Je voulais faire quelque chose de très direct, sans voile. Et puis, je voulais aussi amener une touche féminine dans la scène française pop, qui était encore assez masculine il y a un an – ça c'est un peu renversé ces derniers mois il faut l'avouer. Même si la scène française est très influencée par le post punk, qui est une forme de virilité très sensible.

    Interview de La Féline, 28 mai 2015

    Photo du mini concert au magasin Balades Sonores le 1-er avril 2015

    B&G : On va terminer avec le questionnaire « Dernier coup ». Dernier coup de cœur ?
    LF : "Hard to be a god", un film russe de science-fiction, d'Alexei Guerman. Ça se passe sur une planète qui ressemble à la Terre au Moyen-Âge. On observe un monde réduit à l'état de cloaque, des êtres humains entre régression et folie. Ça fait penser aux tableaux de Bosch, ou à une sorte de "Game Of Thrones" de l'Est, avec une radicalité mais aussi une dérision que la série "Game of Thrones" ne pourrait pas se permettre.

    B&G : Dernier coup de gueule ?
    LF : C'est complètement bidon non Django Django?

    B&G : Dernier coup dur ?
    LF : M6 ne veut pas jouer le magnifique clip de Zone, qu'a réalisé Laurie Lassalle et qui sort le 1-er juin... Parce que c'est trop "difficile". Je vais encore devoir rester indé !

    B&G : Dernier coup de rouge ?
    LF : Je suis plutôt nez rouge que vin rouge, je n'aime pas trop le froid mais j'aime bien les gags.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :