• La commauté Pop Indé : interview d'Alexandre Gimenez-Fauvety

    Interview d'Alexandre Gimenez-Fauvety, 20 octobre 2014, Le Lock Groove (15 Rue Roger, 75014 Paris).
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    La commauté Pop Indé : interview d'Alexandre Gimenez-Fauvety

    Nous continuons notre dossier sur la communauté pop indé française avec une interview passionnée et passionnante d'Alexandre Gimenez-Fauvety, qui, avec son frère Etienne, a fondé le blog « Requiem Pour Un Twister » puis deux labels dédiés à l'édition de vinyles de musique indie pop, garage, psychédélique, power pop et shoegaze (« Croque Macadam » et « Requiem Pour un Twister »).

    Baptiste & Gérald : Peux-tu nous présenter vos différents projets ? D'abord le blog « Requiem Pour un Twister » ? Et les labels Requiem et Croque Macadam ?
    Alexandre Gimenez-Fauvety : Etienne et moi avons fondé le blog « Requiem Pour un Twister » en 2007. Au départ, notre blog était très orienté oldies, 60's. Puis on s'est remis à écouter des nouveautés, et donc à en parler dans le blog : Ty Segall, les Black Lips, Jay Reatard, ... Avant, on écoutait déjà de l'indie mais ces artistes nous parlaient beaucoup plus, car mon frère et moi avons un gros background 60's. Ça nous rappelait nos références mais sans être des copies conformes un peu chiantes.

    B&G : Quelles sont vos références ?
    AGF : Pour moi, les Byrds sont le plus grand groupe de tous les temps. Leur son jangly me rend fou. Et aussi les Beatles, Big Star, les Buzzcocks, les Beach Boys. Je suis un grand fan des groupes en B, c'est une obsession. J'aime beaucoup les Undertones, malheureusement c'est un groupe en U ! Les Zombies, les Mighty Lemon Drops, les Shop Assistants, Orange Juice, Monochrome Set, Hit Parade, New Order, les Cleaners From Venus, le premier Primal Scream.

    B&G : Des références françaises ?
    AGF : Je suis très fan des Calamités. Leur single Vélomoteur est un très bon morceau. Il y a aussi Marie Et Les Garçons, Gamine, les Freluquets, les Stagiaires, un groupe de Bordeaux qui faisait des choses très drôles.

    B&G : Ton frère et toi êtes tombés dans la marmite en même temps ?
    AGF : Etienne et moi avons deux ans de différence. Je suis le plus vieux, même si ça ne se voit pas (rires). Eh oui, j'ai trente et un ans ! On a commencé à écouter de la musique en même temps. D’abord du rock, comme tout le monde, quand nous étions petits, à l'âge de neuf ou dix ans : les Beatles, et d'autres choses moins avouables comme Queen ou Police. Au lycée, j'ai écouté beaucoup de musique électronique. Puis vers l'âge de 25 ans, je suis revenu au rock, via l'indie pop britannique, avec des groupes tels que Franz Ferdinand ou Bloc Party. Et surtout les scènes underground américaines : garage, psyché, post-punk. Ca correspondait plus à ce que j'étais que l'indie britannique. Pour moi, Jay Reatard a été une révélation. J'adore la démarche de ces groupes américains : ils font les trucs et s'en battent les couilles. Ils enchaînent les singles et font un album par an, sans se poser de question, sans perdre leur identité. C'est ce que je reproche parfois à des groupes français : ils réfléchissent trop et ils veulent trop en faire quand ils passent du single à l'album. Ceux qui ont réussi ce passage, en gardant leur identité, ce sont les Aline. Ils ont réussi à garder leur naïveté et leur romantisme, et même à les amplifier sur l'album « Regarde le Ciel ». Je Bois Et Puis Je Danse est un hymne générationnel pour la communauté indie pop en France et a aussi un potentiel évident pour toucher le grand public. Ils  ont réussi l'alliance parfaite entre indie pop, guitares jangly et rythmiques dansantes à la New Order. Ça m'a beaucoup touché. Mustang aussi, ils ont préservé leur identité, ils sont cohérents.

    B&G : Quelle était votre motivation à la création du blog « Requiem Pour un Twister » ?
    AGF : Avant tout parler de ce qui nous amusait, partager nos découvertes, nos émotions et les musiques qui nous font ressentir des choses fortes. On est poussé par une puissance qui est la musique, on a envie de s'impliquer, on a envie que les gens connaissent les groupes qu'on écoute plutôt que des trucs affreux que je vais éviter de citer. Je pense que c'est vraiment pour cela qu'on démarre un blog musical.

    B&G : D'ailleurs, la communauté pop française est très vivante, en particulier avec de nombreux blogs qui défendent vraiment une certaine idée de la musique et toute la scène française actuelle.
    AGF : Oui, ça a démarré vers 2009 / 2010, avec les Young Michelin - Aline, Mustang, Pendentif, Marc Desse, Lescop, La Femme, Moodoïd, Superets, …

    B&G : Après le blog, ton frère et toi avez décidé de monter des labels, « Croque Macadam » et « Requiem Pour un Twister ». Pourquoi et comment ?
    AGF : En fait, après le blog, l'étape suivante, c'était soit d'organiser des concerts, soit de faire des disques. Et comme on est des gros nerds des disques vinyles, on a voulu monter des labels. C'est moi qui me suis lancé le premier en 2011. C'est venu d'un pari avec des potes, les Guillotines. Je leur avais dit que s'ils enregistraient des morceaux et que je les trouvais cools, je m'engageais à les sortir. Ils ont enregistré quatre morceaux, dont deux qui m'ont plu tout de suite. Banco ! J'ai sorti le premier single en septembre 2011. Je l'ai fait tout seul, sans Etienne. C'est pour cela que je n'ai pas repris le nom « Requiem Pour un Twister » et que j'ai nommé le label « Croque Macadam ».

    B&G : Pourquoi le choix de ce nom ?
    AGF : Je suis un grand fan d'un label qui s'appelle « Burger Records ». Donc je me suis demandé quel était l'équivalent français du hamburger. C'est le croque-monsieur ! Il y avait aussi une chanson sur le bitume. Et ça a donné « Croque Macadam ». Je me suis dit que c'était assez con pour qu'on retienne ce nom facilement. Et, étonnamment, les gens ne le retiennent pas, ils disent « Croque Madame » une fois sur deux. Au moins, le nom n'est pas passe-partout, et j'ai une histoire que je peux raconter.

    B&G : Et l'autre label, « Requiem Pour un Twister » ?
    AGF : C'est le label que mon frère a monté. Quand j'ai sorti les singles des Young Sinclairs, on l'a fait ensemble. Ca a permis à Etienne, qui souhaitait aussi monter un label, de faire ses premières armes et de voir comment faire. Comme le nom « Requiem Pour un Twister » avait une petite renommée grâce au blog, il s'est dit que c'était dommage de ne pas en profiter. Le fait d'avoir deux labels avec deux noms différents crée un peu de confusion. Du coup, en mars de cette année, on a monté une structure juridique commune. L'idée, c'est que les singles sortiront sous le nom « Croque Macadam » et les albums sortiront sous le nom « Requiem Pour un Twister ».

    B&G : Comment vous y prenez-vous pour faire de la promo quand vous sortez des disques ?
    AGF : Je n'aime pas faire des choses sales, comme du mailing intempestif et massif. Je préfère contacter des gens qui ont un peu mon point de vue, qui vont me comprendre, qui ont le même langage que moi. D'ailleurs, je ne parlerai pas forcément aux gens que je contacte de tous les disques que je sors, je vais cibler sur des choses qui sont susceptibles de les toucher. Typiquement, quand je vous avais contactés sur votre blog, je vous avais parlé de Triptides et de Marble Arch car je pensais que ça vous correspondait.

    B&G : Tu as bien ciblé. Parmi les groupes de vos labels, on aimait déjà beaucoup les Young Sinclairs et Venera 4, et, grâce à ton message, on a découvert Triptides et Marble Arch, qui font vraiment de très belles choses.
    AGF : On sort le premier album de Venera 4 en janvier 2015. Pour cette sortie, on va faire une promo plus professionnelle. En fait, on sort des disques qui ressemblent à la musique qu'on aime : indie pop, shoegaze brumeux, guitares jangly façon Byrds, garage, power pop 70's un peu musclée, psyché.

    B&G : Comment découvrez les groupes ? Est-ce que vous les contactez ou est-ce que ce sont les groupes qui vous contactent ?
    AGF : Ca dépend. Par exemple, les Departure Kids m'ont contacté sur le blog pour que je chronique leur premier single. J'avais beaucoup aimé, je suivais ce qu'ils faisaient, et un copain du label Howlin' Banana m'a proposé qu'on sorte ensemble leur premier album. Ça me fait vraiment plaisir de défendre leur musique. Pour Marble Arch, c'est différent. Dès qu'ils ont posté leur musique, on a tout de suite aimé et on a été très rapides pour sortir leur disque en commun avec un autre label qui s'appelle Le Turc Mécanique. Pour Halasan Bazar, c'est un copain qui nous a fait connaître leur premier album qui n'était sorti qu'en cassette. On les a vus en concert et on les a trouvés géniaux. Du coup, on leur a proposé de rééditer leur album en vinyle, en partenariat avec le label américain qui avait sorti leur cassette. Franchement, leur album est superbe, très psyché, qui fait penser à Love, avec aussi des côtés Syd Barrett.

    B&G : Vous organisez aussi les soirées « Psychotic Reaction » ? Tu peux nous dire un mot sur ces soirées ?
    AGF : Oui, depuis maintenant un an, avec Howlin' Banana, Bong, Walking With The Beast et Yummy de Radio Campus Paris, on organise des soirées à l'International, avec des concerts de groupes garage, punk, shoegaze, psyché ou indie pop, venant de Paris et de province. L'idée était de créer une sorte de hub, de rendez-vous régulier. On essaye toujours de faire une soirée avec une tête d'affiche porteuse et des groupes plus confidentiels. L'idée est de profiter de la notoriété d'un groupe pour mettre le pied à l'étrier à des groupes moins connus. On a fait jouer d'excellents groupes : Forever Pavot, Pain Dimension, Travel Check, Sudden Death Of Stars, Venera 4, Lucid Dreams, Beat Mark, … Ce qui est très bien avec l'International, c'est qu'il y a un cachet fixe qui permet de faire venir des groupes de Province. Je pense qu'ils y sont gagnants car certaines soirées ont vraiment été blindées.

    B&G : Revenons aux groupes que vous avez sortis sur vos labels. The Young Sinclairs par exemple. C'est le plus gros groupe que vous avez signé, le plus « établi ». Comment cela s'est-il passé ?
    AGF : Etienne et moi étions des grands fans des Young Sinclairs. On se demandait pourquoi ce groupe n'était pas plus reconnu. On voulait acheter leurs disques et on leur a envoyé un mail pour savoir si le groupe existait encore. Comme ils nous ont répondu que oui, même s'ils n'avaient rien sorti depuis deux ans, on a tenté un super banco en leur posant la question « Ça vous dirait de sortir un 45 tours avec nous ? ». Ils étaient d'accord et nous ont donné une liste de titres qui n'étaient jamais sorti en physique. Et comme il y avait trop de morceaux bien, on a sorti deux 45 tours. Un premier, « Hurt My Pride », tiré à 300 exemplaires, dans un style garage, avec aussi un morceau folk rock. Un second plus indie pop, « New Day », tiré à 200 exemplaires. Ils vont sortir un album sur un label anglais, le label du gars de Cornershop. On a l'impression qu'on a relancé l'intérêt pour les Young Sinclairs, et on est très contents et très fiers de cela.

    B&G : Dans les groupes qui sont sortis sur vos labels, nous aimons aussi beaucoup Triptides. Bravo pour les pochettes de leurs trois 45 tours, qui rappellent les pochettes de Sarah Records et des Smiths.
    AGF : Tout à fait, comme c'est notre groupe le plus indie pop, on voulait vraiment faire un clin d’œil  à Sarah Records et aux Smiths. Les Triptides préparent actuellement un album, qui sortira sur Requiem. On a d'ailleurs un vrai échange avec eux pendant l'enregistrement. Ils nous envoient les morceaux et nous demandent notre avis. On les pousse à mettre un maximum de guitare 12 cordes bien jangly.

    B&G : Quels sont vos objectifs à court ou à moyen termes ?
    AGF : Le premier objectif, c'est d'être à l'équilibre financièrement et de ne pas perdre d'argent : par exemple faire des pressages à 500 copies et tout vendre. L'autre objectif, c'est d'arriver à donner plus de visibilité à nos disques, à trouver le temps de faire plus de promotion. Pour nous, le rêve serait de réussir à accompagner nos groupes plus longtemps. Par exemple, permettre aux prochains  Superets ou Forever Pavot de grandir avec nous : sortir un EP, un deuxième EP, puis un album, trouver un tourneur qui donne accès à des salles plus importantes, être programmé sur des radios nationales … Actuellement, un label comme Entreprise, qui a un catalogue très cohérent et qui fait un très beau travail de fond, a permis aux Superets d'avoir le développement qu'on ne pouvait pas leur offrir après leur premier 45 tours avec nous. Idem pour Forever Pavot qui a sorti son album chez  Born Bad Records, un label qui a une éthique et qu'on respecte beaucoup.

    B&G : On va terminer l'interview avec un questionnaire « Dernier Coup ». Dernier coup de cœur ?
    AGF : Ma dernière grande découverte musicale, c'est l'album « Phaedra » de Tangerine Dream, un groupe allemand des années 70.

    B&G : Dernier coup de gueule ?
    AGF : Un coup de gueule général contre la récupération du vinyle par les grosses maisons de disques et par des gens qui n'en comprennent pas les tenants ni les aboutissants, qui n'ont pas de passion pour l'objet vinyle et qui y voient juste une opportunité commerciale. Pour les petits labels comme nous, ça fait augmenter les prix, les tailles et les délais de pressage. Aujourd'hui, il y a de moins en moins de presseurs qui acceptent des séries de 300 copies. La plupart exigent un volume minimal de 500 copies et, pour nous, 500 copies, ça devient assez risqué financièrement. Je trouve aussi que les prix des vinyles chez les disquaires, qui ne font que subir et répercuter les prix auxquels ils achètent, sont parfois trop chers. Un prix correct pour un LP, c'est 15 à 16 Euros. Au delà de 20 Euros, ç'est vraiment cher. Et je ne parle même pas des rééditions à 25 ou 30 Euros, avec des masterings débiles faits en digital.

    B&G : Dernier coup dur ?
    AGF : Entre mai et septembre 2013, je n'ai rien sorti. J'ai même failli arrêter le label car je n'avais plus de trop de projets. J'étais aussi assez triste de perdre Superets. Et quand j'ai vu les disques que mon frère a sortis, ça m'a relancé. Ensuite, les groupes Baston et Pain Dimension sont arrivés. C'était reparti ! Maintenant, on a sept ou huit sorties prévues pour l'année 2015 : Venera 4, Future, Triptides, Pain Dimension, les Guillotines, peut-être un groupe suédois. Notre limite actuelle, c'est qu'on ne peut pas financer directement tous ces projets. Il faut donc rentrer de l'argent avec les disques qu'on sort pour pouvoir sortir les prochains. Mais cette limite est saine car elle nous permet de faire un investissement qui n'est pas seulement financier, qui est avant tout un investissement personnel. Ça nous permet de rester impliqués pour défendre nos groupes, de faire le maximum pour les faire connaître et pour leur trouver un « chez-eux » où on les écoute. Je crois dans mes disques, je suis persuadé que si Etienne et moi aimons nos disques, d'autres personnes vont aussi les aimer, vont comprendre notre démarche et notre sensibilité.


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