• Interview de Dominique PASCAUD, auteur de « Figurante » (Editions de la Martinière)
    4 septembre 2015 - Pop In.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.
    Photos d'Olivier REBECQ.

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    Nous connaissions Dominique Pascaud en tant que musicien, que ce soit en solo, récemment avec le projet Clarence Affectif, ou avec Alex Rossi comme compositeur et guitariste. Nous savions qu'il enseignait le dessin à Paris. Mais nous ignorions que sa palette ne se limitait pas à ces deux activités artistiques : il vient de publier aux prestigieuses Éditions de la Martinière son premier roman, « Figurante », dans lequel il rappelle la beauté des choses communes, parfois chahutées par des rêves naissants qu'on aurait préférés ne pas avoir à goûter ... Rencontre avec l'auteur.

    Baptiste & Gérald : Pendant ton parcours musical, tu as toujours eu en tête de devenir écrivain ? Tu souhaites continuer à faire les deux ?
    Dominique Pascaud : J'ai écrit des choses quand j'étais plus jeune. Mais je n'avais jamais eu le temps de concrétiser cette activité artistique. J'avais écrit un premier roman entre mes 20 et mes 25 ans. Il y a 6 ans, je me suis mis à l'écriture de nouvelles que je publiais dans des revues parisiennes, et il y a trois ans je me suis remis au roman, au long format.

    B&G : Finalement tu bascules sans arrêt de la musique à l'écriture … ?
    DP : L'alternance entre les deux exercices me permettait et me permet toujours de respirer : quand j'en avais marre de la musique je me mettais à écrire, et inversement. Et j'ai aussi mon travail de professeur de dessin qui me prend beaucoup de temps. Quand j'étais jeune, j'ai fait un peu de Bande Dessinée d'ailleurs. Je faisais le concours d'Angoulême, j'avais même gagné quelques prix… J'avais pensé, après le bac, à aller dan une école d'art à Bruxelles, et puis finalement j'ai fait une fac d'arts plastiques et ensuite j'ai fait les Beaux Arts de Paris. C'est là que j'ai découvert l'art contemporain, ce qui m'a éloigné petit à petit de la BD. Ceci dit, j'apprécie toujours ce genre, notamment à travers Chris Ware, ou Daniel Clowes qui a fait "Ghost World", ou encore Charles Burns. J'ai fait quelques expos quand j'étais aux Beaux Arts ; je suis aussi parti 6 mois aux États-Unis où j'ai fait du cinéma expérimental. J'ai présenté mon diplôme dans cette discipline. Mais après les Beaux Arts, je n'ai pas essayé de trouver une galerie ou de persévérer là-dedans, je me suis mis à faire de la musique. J'ai eu mes projets sous mon nom, j'ai auto-produit mes albums. J'ai même eu quelques chroniques dans Magic, dans les actualités souterraines. Puis j'ai rencontré Alex Rossi, on a commencé à jouer ensemble. J'avais en parallèle d'autres groupes : Tristen, qui tourne encore, et Querencia. Je jouais pour ces groupes en tant que guitariste et bassiste. Je me suis mis également à composer pour d'autres, pour Alex par exemple. Bref, j'essaie de jongler entre toutes ces activités artistiques, c'est mon mode de fonctionnement !

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : Et sur le plan de tes influences musicales, quel est ton background ?
    DP : Les Smiths, Suede…

    B : … Sur l'album de Clarence Affectif, figure d'ailleurs le morceau Magnifique Perdant, qui renvoie au Beautiful Loser de Suede...
    DP : Ah oui c'est vrai ! Leur chanson Heroine est magnifique. J'aime aussi beaucoup les Tindersticks. Et bien entendu il y a l'ombre de Dominique A qui plane sur toutes mes compositions… Je pense que quand on fait de la pop française, on ne peut pas y échapper ! Philippe Katerine aussi, grosse influence.

    G : Certains morceaux de Clarence Affectif nous avaient fait penser aux Auteurs de Luke Haines (Une nuit sous les flammes, A la lumière du bar)…
    DP : Oui j'adore les Auteurs, ce groupe fait partie de mes influences. Malheureusement, je n'ai jamais pu les voir en concert. Et en ce qui concerne le début de Clarence Affectif, il y avait une volonté de faire quelque chose qui me plaisait, sans contraintes, avec des cuivres, avec des sons plus industriels, un peu dans le style Suicide d'Alan Vega, un groupe qu'on écoutait pas mal avec mes frères quand j'étais petit. Sans oublier Bowie bien sûr. Musicalement, je dois tout à mes frères ! Adolescent, j'ai découvert Hendrix . Et il m'a vraiment marqué, comme tout guitariste !

    B&G : Et pourquoi ce pseudo, Clarence Affectif ?
    DP : Pour faire un jeu de mots : carence affective… Et j'aime bien le prénom Clarence, c'est le deuxième prénom de mon fils. J'ai tout fait tout seul sur cet album, comme sur les albums auto-produits sous mon nom. Il y a seulement un pote qui a joué du piano sur A La Lumière Du Bar, et une copine qui a posé sa voix sur un autre morceau. L'enregistrement de tous ces albums m'a pris beaucoup de temps à chaque fois.Il a fallu découvrir les logiciels. Les premières démos datent de 2001, 2002, et le premier album 2003. Je venais d'avoir mon premier ordi …

    B&G : Revenons-en à l'alternance entre écriture des chansons et écriture de romans : est-ce que tu y vois des similitudes, des différences, des complémentarités ?
    DP : Globalement c'est tout de même assez différent. Dans la chanson il peut y avoir une forme d'abstraction ; tu peux aligner des phrases, sans forcément raconter une histoire. Ça peut être juste l'évocation d'un lieu, d'une sensation, d'une rencontre… Quand j'écris des paroles de chansons, je fais surtout attention à la musicalité des mots, alors qu'en écriture, à moins de faire de la poésie, tu es obligé de tirer un fil, pour obtenir une histoire. Je me suis fait la main sur l'écriture de nouvelles, ça m'a beaucoup entraîné… C'est un peu comme Nick Cave, son style était différent si l'on prenait d'un côté les paroles de ses chansons, et ses bouquins de l'autre, comme « Et L’Âne Vit L'Ange » (1989).

    B&G : Tu viens de publier « Figurante » aux éditions de la Martinière. Il nous a fait penser aux premiers livres d'Olivier Adam – la vie des gens simples et leurs tristesses, avec peu de moments de joie, mais sans apitoiement sur le sort de l'héroïne. C'est la vie des gens. C'est aussi ton sentiment ?
    DP : J'avais envie de décrire une vie qui ressemble aux nôtres. La jeune fille, Louise, qui est au centre de mon livre, a des rêves modestes, mais ce sont des rêves quand même. Et puis on lui propose d'autres rêves [décrocher le 1er rôle d'un film], elle va y croire, mais elle va un peu s'y casser les dents. Le livre est parti d'une nouvelle, qui s'intitulait « Hôtel » et qui correspond en fait aux 10 premières pages du livre : la nouvelle s'achevait sur le fait que finalement on ne lui propose pas le rôle … Or ce qui m'intéressait ce n'était pas d'exploiter et de développer cet aspect-là, mais plutôt ce qui peut se passer après, après la déception. Comment je vis mon quotidien une fois que le mirage a disparu ?

    B&G : Dans le quotidien de Louise, tu insistes beaucoup sur les pauses cigarettes…
    DP : Oui, elle a ça, ses pauses clopes, qui sont importantes pour elle. Peut-être que c'est un livre qui encourage à fumer d'ailleurs ! Elle a aussi les caresses de Marc, son copain. Elle l'aime, elle est sincère avec lui.

    B&G : Et pourquoi avoir choisi une héroïne ?
    DP : La nouvelle qui est à l'origine du livre partait d'un moment précis et vécu : nous étions dans un hôtel en province, et nous avons rencontré une serveuse, qui préparait les petits-déjeuners. Elle était plutôt jolie. Elle dénotait un peu dans le lieu où elle travaillait, un peu vieillot. Un hôtel banal de province en fait, celui où tu ne t'arrêtes qu'un soir… Elle était comme une fleur qui apparaissait. C'est ça qui m'avait donné cette idée : quelqu'un arrive dans cet hôtel et propose à cette fille quelque chose d'inattendu. Le fait de me mettre dans la peau d'une héroïne m'a aussi permis un certain détachement. Mon précédent roman, qui n'a pas été publié, était plus autobiographique, comme souvent les premiers romans d'ailleurs. Alors que dans « Figurante », j'avais plus de recul, et j'avais aussi, paradoxalement, le sentiment d'être plus attentif à des détails.

    B&G : Avec « Figurante », on pense, d'un certain point de vue, aux romans de Houellebecq : description d'une réalité plutôt dégradée… Comme lui, et bien que ton style soit au final assez différent, plus romantique, tu ne racontes pas le pourquoi des choses, mais plutôt le comment. Le pourquoi n'a pas d'importance ?
    DP : J'ai seulement lu deux livres de Michel Houellebecq, donc c'est difficile de répondre à cette question sans connaître son œuvre intégralement, je ne serai pas bon juge pour comparer ses livres avec mon roman. Dans mon roman je ne voulais pas trop en faire sur la psychologie des personnages, je ne voulais pas rentrer dans le pathos. J'ai préféré décrire les faits, et j'ai considéré que cela suffisait pour exprimer des choses. On peut prendre l'exemple de la relation de Louise avec son père, une relation plate et assez triste finalement. Je souhaitais que la description se suffise à elle-même pour illustrer ce lien, ou plutôt cette absence de lien. Louise, quand elle vient voir son père, refait son lit, lui apporte des croissants, nettoie l'évier… Tout cela participe à l'élaboration d'un univers. Inutile alors de parler de ses sentiments explicitement. Autre exemple : le simple fait de décrire le paysage qu'elle regarde, composé des néons lumineux de la zone commerciale, permet de dire de manière sous-jacente, en profondeur, qu'elle est triste. C'est plus fort que d'écrire explicitement qu'elle est triste face à ce décor. Peut-être est-ce une influence du roman américain et de la littérature anglaise…

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : Il y a aussi une réflexion sur nos rêves, qui parfois nous dépassent et ne valent pas la peine d'être vécus… Des rêves qui finalement appartiennent à d'autres. D'où t'est venu ce thème d'écriture ?
    DP : On pourrait revenir à la musique : quand je faisais des albums auto-produits, j'ai eu quelques articles… Et j'y croyais beaucoup ! Alors forcément, après, si ça ne marche pas, la désillusion est plus forte. On peut faire un super concert, récolter une super critique dans un magazine, mais il peut ne rien se passer après. C'est un peu comme les montagnes russes. Ou l'expression « Beaucoup d'appelés, peu d'élus ». Avec ce livre, je voulais exprimer le fait qu'à chacun de nous il peut arriver quelque chose d'exceptionnel sans qu'il y ait de suite… Et on doit tous vivre avec ce genre de phénomène. Je voulais que mon roman parle vraiment aux lecteurs. Et mon héroïne est aussi une fille plutôt courageuse, elle va essayer de s'accrocher à ce nouveau rêve de devenir actrice, elle va essayer de voir ce qui peut se passer, elle va prendre des initiatives. Je n'aimerais pas qu'on dise qu'elle est passive, triste et minable, ni qu'on pense que je décris une vie médiocre en province… Je voudrais au contraire que le lecteur trouve à l’héroïne quelque chose d'attachant. Certes, elle a des rêves plus modestes, ouvrir une chambre d'hôtes, avoir des enfants… Mais ces rêves ne sont pas plus ou moins louables ou respectables que d'autres.

    B&G : Ton livre comporte également une part de questionnements sur le temps qui passe, le poids du temps et son élasticité, la tension entre les moments d'accélération et la monotonie de la vie.
    DP : Juste après qu'elle se voie proposer le rôle dans le film par le réalisateur, l'héroïne est dans son propre temps, dont elle profite d'ailleurs. Sauf qu'en attendant, la proposition est déjà remise en cause par la production. Donc son temps à elle n'est pas du tout le même que celui de cette équipe de production. Le temps qu'elle réalise que ce rêve est accessible et qu'il est bien réel, c'est déjà fini pour les autres : les choses se sont jouées dans son dos, et elle n'y peut rien. C'est cette distorsion du temps qui fait souffrir.

    B&G : La distorsion est aussi très présente dans ton style d'écriture : tu alternes souvent les moments de longue description, et les courts passages qui cassent la narration (1).
    DP : Oui c'est vrai j'aime bien écrire de cette manière : je peux passer beaucoup de temps à décrire un lieu, puis enchaîner sur une action qui se déroule très rapidement. J'aime bien cette cassure dans le rythme. Par exemple, il y a cette scène dans le livre : l'héroïne va chez son père, elle se fait un thé, elle ramasse les miettes avec son petit doigt, elle boit un peu d'eau...Le temps y est étiré au maximum. J'aime bien traiter les choses comme ça.

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : On a trouvé ton utilisation du mot « silhouette » très intéressante, un peu comme le mot « lisières » dans « Les lisières » d'Olivier Adam (Flammarion, 2012). Le mot revient souvent, à compter du moment où Louise réagit à la volonté de son copain Marc de figurer dans le film (2).
    DP : Au cinéma, une « silhouette » désigne un personnage qui fait de la figuration et qui ne parle pas. Mais dans la vie réelle on est tous des silhouettes ! Dans le métro, il y a des silhouettes qui se côtoient, sans forcément se connaître… Cela crée une sensation bizarre : on a le sentiment d'appartenir à quelque chose, mais en même temps cela fait de nous des éléments interchangeables, dont la vie est finalement assez dérisoire.

    B&G : Et une silhouette est à la fois précise et floue : on distingue nettement le profil d'une personne mais sans voir son visage, son regard …
    DP : Oui d'ailleurs en art j'aime beaucoup les dessins très fins, au trait, ceux d'Ingres ou de Picasso. Je suis très sensible à la ligne claire d'ailleurs, en musique comme en dessin ! Par ailleurs, je ne décris jamais son visage, ni la couleur de ses cheveux… Je laisse aux lecteurs le soin d'imaginer ces caractéristiques. Je ne fais que donner le contour de son personnage …

    G : L'héroïne est une silhouette, mais en même temps elle se fait remarquer par le réalisateur grâce à son regard …
    DP : Oui c'est exact. C'est un peu comme si la silhouette se remplissait et se vidait, en fonction des situations et des opportunités.

     (1) Cf. page 49, résumé très abrupt du livre et des émotions qui ont traversé en si peu de temps Louise : « Tout s'est déroulé si vite. La stupéfaction, le doute, la confusion, le plaisir, l'intention puis l'humiliation. Tout cela s'est passé vite ».

    (2) Cf. page 60 : « Non, sincèrement, j'espère qu'ils auront un petit rôle pour toi, même juste une silhouette, il paraît que c'est comme ça qu'on dit dans le métier, une silhouette, on est tous des silhouettes, pas vrai Marc? Des silhouettes dans le lointain, un peu floues et perdues, comme des dessins pas finis, ou mal effacés, qui hésitent entre l'oubli et la présence, c'est ça, des silhouettes ».

     

     


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    Interview de Triptides, pour la sortie du LP « Azur » sur le label Croque Macadam / Requiem Pour un Twister
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Avec “Azur”, Triptides vient de sortir l'album estival parfait, oscillant entre pop psychédélique et musique surf, et mélangeant de manière imparable des influences 60's ou indie pop. Bref un petit chef d’œuvre qui ravira tous les amateurs de guitare 12 cordes. Et bravo aux labels “frères” Croque Macadam / Requiem Pour un Twister qui, en poursuivant leur collaboration avec Triptides, ajoutent une excellente référence à leur excellent catalogue, et continuent de défendre passionnément une certaine idée de la pop (cf. notre interview d'Alexandre Gimenez-Fauvety).

    Et un grand merci à Glenn Brigman, chanteur et guitariste de Triptides, qui a accepté de répondre à nos questions sur les origines du groupe, leurs influences, et qui nous a fait part de sa playlist musicale d'été !

    Baptiste & Gérald : Quel est votre parcours musical ? Comment vous a-t-il amené à la création de Triptides ?
    Glenn Brigman : Je viens d'une famille de musiciens – mon père est un bon pianiste et nous a inscrits très tôt, mon frère, ma sœur et moi, à des leçons de piano. Josh a commencé à jouer du saxophone à l’âge de 8 ans, puis il s’est mis à la guitare quelques années plus tard. Bryant jouait de la basse dans des college bands quand il était au lycée et le père de Brian lui a acheté une batterie en espérant qu'il apprendrait à en jouer dans le style des groupes de space rock des années 70 avec lesquels il a grandi. Le groupe s’est formé lorsque Josh et moi nous sommes rencontrés à l'Université d'Indiana à Bloomington ; nous étions assis l’un à côté de l'autre dans un cours d’histoire du Rock and Roll. Nous avons très vite trouvé un batteur et la première incarnation de Triptides était née. Quant à l’origine du nom du groupe, une nuit je balançais des idées en vrac avec mon ami Pedro et après une heure ou deux, l’un d'entre nous a dit « Riptides » et j’ai rebondi « Et pourquoi pas "Triptides"? », et ce nom est resté.

    B&G : Quelles sont vos principales influences musicales ? Et les morceaux ou les albums qui vous ont donné envie de faire de la musique?
    GB: Nous avons tous grandi avec les Beatles et je pense qu’en termes de songwriting ils sont probablement notre plus grande influence collective. Ceci dit, nous avons été fortement influencés par d'autres groupes de cette époque. Nous sommes très attirés par les sonorités des guitares 12 cordes comme chez les Byrds, la pop psychédélique avec des orgues Farfisa comme dans les premiers Pink Floyd, et les tonalités surf et baignées de réverbérations des Beach Boys et des groupes de surf music comme The Tornadoes et The Ventures. On  s'intéresse aussi beaucoup aux musiques glam des années 70, avec T. Rex et Bowie, ainsi que le rock progressif plus décalé de Hawkwind, Gong et Todd Rundgren. Certains de nos morceaux sont également fortement influencés par des groupes de Kraut Rock comme Can. L'album « Azur » est très marqué par les années 60, transcendées par le son des années 80 de groupes comme Cleaners from Venus.

    B&G : Après trois 45 tours publiés avec le label français Croque Macadam / Requiem Pour un Twister, « Azur » est le premier album que vous sortez ensemble. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et pourquoi avez-vous décidé de travailler ce label ?
    GB: Nous avons connu les deux labels lorsque Alexandre et Etienne nous ont repérés sur internet et nous ont demandé de faire une interview pour le blog Requiem Pour Un Twister. Ils avaient tellement aimé notre disque “Psychic Summer” qu'ils nous ont proposés de faire ensemble un 45 tours ("Going Under / Outlaw"). Ce fut la première fois que quelqu'un nous offrait l'opportunité de sortir nos morceaux ; nous étions très enthousiastes à cette idée et on a dit oui tout de suite. Il était clair, vu leur blog, qu'ils n'étaient pas juste un label, mais aussi de vrais amateurs de musique, avec une approche assez profonde des disques. C'est un véritable honneur de continuer à travailler avec eux après toutes ces années de collaboration et nous espérons continuer à sortir des disques avec eux dans les prochaines années.

    B&G : « Azur » est le LP parfait pour l'été : vous alternez des mélodies ensoleillées et accrocheuses avec d'autres parfaites pour se détendre. Par exemple pour les deux premières chansons Wake et Dark Side. De même pour Hideout et Not Mine, et plus loin Don't Ask Me Why et Translucent. Souhaitiez-vous construire et structurer « Azur » de cette façon?
    GB: Nous voulions que l'album présente un bon équilibre entre des chansons optimistes et rythmées et des morceaux plus relax ; nous avons essayé de découper ce LP en mélangeant méthodiquement ces deux ambiances. Il ya beaucoup de moments détendus mais nous voulions compenser cette dimension avec des morceaux plus énergiques. Et puis les chansons racontent, en quelque sorte, une histoire tout au long du disque, mais c'est à l'auditeur de dégager la véritable histoire !

    B&G : On vient de dire que votre album "Azur" est parfait pour l'été. Et donc quelle serait votre playlist idéale pour l’été?
    GB : Elle serait composée de ces morceaux, sans ordre de préférence particulier :
    - The Wake - Melancholy Man
    - The Byrds - Wasn't Born To Follow
    - Pink Floyd - See Emily Play
    - West Coast Pop Art Experimental Band - Smell Of Incense
    - The Zombies - Beechwood Park

    - Love - Softly To Me
    - Morgen - Welcome to the Void
    - The Tornadoes - The Tornado
    - Felt - Sunlight Bathed The Golden Glow
    - Lazy Smoke - Sarah Saturday
    - Harry Nilsson - Driving Along
    - Neil Young - Walk On
    - Kevin Ayers - Song For Insane Times
    - The Mothers of Invention - You Didn't Try To Call Me
    - The Jimi Hendrix Experience - May This Be Love
    - Gilberto Gil - Domingo No Parque
    - The Beach Boys - Busy Doin' Nothing
    - Martin Newell - Golden Lane
    - The Beatles - I'm Only Sleeping
    - Caetano Veloso - Eles
    - Strawberry Alarm Clock - Sit With The Guru
    - Clear Light - How Many Days Have Passed

    - The Beach Boys - Your Summer Dream

    B&G : Quelle musique écoutez-vous ? Quels sont vos groupes favoris en ce moment ?
    GB : Nous écoutons tous les styles de musique et c’est toujours très excitant d’en découvrir de nouveaux… Ces derniers temps, j’ai écouté beaucoup de Harry Nilsson. Josh s’est plongé dans le nouvel album de Kamasi Washington. Et on s'intéresse aussi beaucoup aux morceaux psychédéliques des Temples, de Boogarins et de Levitation Room !

    B&G : On adorerait vous voir en live ici : vous prévoyez de faire une tournée en France ?
    GB : On adorerait faire une tournée en France, et ce le plus tôt possible ! On espère venir d’ici la fin de l’année, mais, si cela ne peut pas se faire, on sera là en 2016. C’est sûr !

    Et maintenant, voici l'interview en anglais. And now, you can read the interview in English.

    Baptiste & Gérald : Can you describe your musical background ? What is the story of your band? What is the meaning of the band's name, Triptides?
    Glenn Brigman : I came from a musical family - my father played piano and had my brother, sister and I taking piano lessons at a very early age. Josh started playing saxophone when he was 8, then picked up the guitar a few years later. Bryant was playing bass with college bands when he was in high school and Brian's dad bought him a drum set hoping he would learn to play drums like the 70's space rock bands he grew up with. The band formed when Josh and I met at Indiana University in Bloomington when we sat next to each other in a Rock and Roll history class. Before long we found a drummer and the first incarnation of Triptides was born. The name originated when I was tossing ideas back and forth with my friend Pedro one night and after an hour or so one of us said Riptides and I said "what about Triptides?" and the name stuck.

    B&G : What are your main musical influences? What are the bands, songs or LP's that have given you the desire to play music?
    GB: We all grew up with the Beatles and I think as far as songwriting goes they are probably our biggest collective influence. That being said, we have been heavily influenced by other bands from that era as well. We draw a lot of 12 string jangle from the Byrds, Farfisa driven psychedelia from early Pink Floyd and surfy, reverb drenched tones from The Beach Boys and surf bands like the Tornadoes and The Ventures. We're also into the glammy sounds of the 70's like T. Rex and Bowie as well as the more spaced out prog of Hawkwind, Gong and Todd Rundgren. Some of our tracks are also heavily influenced by kraut rock bands like Can. A lot of "Azur" is influenced by the 60's translated through the 80's sound of Cleaners From Venus.

    B&G : After three 7’ vinyls with the French label Croque Macadam / Requiem Pour un Twister, “Azur” is the first LP that you are releasing with this label. How did you meet them? And why did you decide to work with them?
    GB: We met the two labels when Alexandre and Etienne found us online and wanted to do an interview for the Requiem Pour Un Twister blog. They liked our "Psychic Summer" record so much they offered to do a 7" of Going Under/Outlaw. This was the first time anyone had offered to release something with us so we were very excited about the idea and said yes right away. It was clear from their blog that they weren't just a label but true music enthusiasts with a deep appreciation of records. We're really honored to continue working with them after several years of collaboration and hopefully we will continue releasing music with them for years to come!

    B&G : Azur” LP is perfect for summer: you alternate sunny and catchy melodies, and others that are perfect for lounging. For example for the first two songs “Wake” and “Dark side”. And also for “Hideout” and “Not Mine”, and then for “Don't ask me why” and “Translucent”. Did you want to build and structure “Azur” this way?
    GB: We wanted the album to have a good balance between upbeat songs and more chilled out songs so we tried to sequence the record in a way that balanced the two vibes. There are a lot of relaxing moments but we wanted to offset those with more energetic songs. The songs also tell a bit of a story throughout the record as well but it's up to the listener to decise what exactly the story is!

    B&G : We have just said that “Azur” is a perfect summer LP. So, what is your perfect summer playlist?
    GB: That playlist would include these tracks in no particular order:
    - The Wake - Melancholy Man
    - The Byrds - Wasn't Born To Follow
    - Pink Floyd - See Emily Play
    - West Coast Pop Art Experimental Band - Smell Of Incense

    - The Zombies - Beechwood Park
    - Love - Softly To Me
    - Morgen - Welcome to the Void
    - The Tornadoes - The Tornado
    - Felt - Sunlight Bathed The Golden Glow

    - Lazy Smoke - Sarah Saturday
    - Harry Nilsson - Driving Along
    - Neil Young - Walk On
    - Kevin Ayers - Song For Insane Times
    - The Mothers of Invention - You Didn't Try To Call Me
    - The Jimi Hendrix Experience - May This Be Love
    - Gilberto Gil - Domingo No Parque
    - The Beach Boys - Busy Doin' Nothing
    - Martin Newell - Golden Lane
    - The Beatles - I'm Only Sleeping

    - Caetano Veloso - Eles
    - Strawberry Alarm Clock - Sit With The Guru
    - Clear Light - How Many Days Have Passed
    - The Beach Boys - Your Summer Dream

    B&G : What kind of music do you listen nowadays? Can you name a few bands you like in particular?
    GB: We listen to a lot of different music and it's always exciting to find new music we love. I've been listening to a lot of Harry Nilsson recently. Josh has been digging the new Kamasi Washington album.
    We really dig the psychedelic sounds of Temples, Boogarins and Levitation Room as well!

    B&G : Do you plan to tour in France in 2015? It would be great to listen to you and to see you live.
    GB: We would love to tour France as soon as possible! Hopefully we can make it over by the end of the year but if not we will definitely be there in 2016.


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  • Interview de La Féline – 28 mai 2015 – Le Pop In.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de La Féline, 28 mai 2015

    « Adieu l’Enfance » étant un de nos albums préférés de ces dernières années, c’est donc avec un grand plaisir que nous avons rencontré Agnès Gayraud – La Féline, pour discuter de sa musique et de son parcours, de la sortie de son nouvel EP « Zone », de la scène française, de Cure et de Monochrome Set, mais aussi de Metallica et de Def Leppard, ou encore des mangas de Naoki Urasawa.

    Prochains concerts de La Féline à noter dans vos agendas :
       - 3 juin, festival Green Days (MONTBELIARD)
       - 14 juin, Nuits de Fourvière (LYON)
       - 17 juin, Petit Bain (PARIS), pour la première des "Goûters rock" [jeune public], un spécial rock'n'rolleuses, avec Bester Langs de Gonzaï.
       - 20 août, Bercy Village (PARIS)
       - 21 août, Petit Bain (PARIS)
       - 12 septembre, festival Les Belles Journées (BOURGOIN-JALLIEU)
       - 3 octobre, Le Rocher de Palmer (CENON)

    Pour suivre l'actualité de La Féline : https://www.facebook.com/lafelinemusic

    Baptiste & Gérald : Quel est ton parcours musical ?
    La Féline : Mon lien à la musique et aux chansons est assez primitif. Quand j'étais enfant, je m'enregistrais sur un petit enregistreur cassette, que ce soit a cappella ou avec des maracas. Ma mère n'est pas musicienne, mais elle chantait souvent. Avec mes sœurs et mon frère, tout le monde était très sensible à la musique, on pouvait pleurer ensemble en écoutant une chanson. Mais personne n'est artiste dans la famille, je n'ai pas eu de modèle de ce côté là. Et je pensais qu'il fallait donner des garanties de sérieux avant de se lancer là-dedans. J'ai fait des études, parce que ça m'intéressait bien sûr mais aussi pour rassurer tout le monde: « Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas faire artiste, je ne vais pas faire n'importe quoi! ». Mais depuis très jeune, la musique a été un désir et un besoin. J'en faisais enfant, j'avais des groupes au lycée, et j'ai commencé à en faire de façon plus engagée encore quand je suis arrivée à Paris au début des années 2000 pour mes études à Normale Sup. Je jouais dans un rade complètement pourri près de Luxembourg, qui a fermé depuis, j'avais même acheté la sono pour pouvoir jouer : quand ça a fermé, ils se sont tirés avec. A l'époque, je ne connaissais pas les endroits comme le Pop In où tu pouvais rencontrer des gens amateurs de musique. Je viens de province, je suis née à Tarbes, j'étais en classe prépa à Toulouse. Je ne connaissais pas le milieu de la musique ni les endroits branchés de Paris. C'est par MySpace que j'ai rencontré des gens qui partageaient mes préoccupations, je me souviens d'une discussion sur les Young Marble Giants qui m'a fait rencontrer des personnes avec qui je suis encore aujourd'hui très amie. A partir de 2008, je me suis appelée La Féline et j'ai sorti mes premiers EP. Le processus a été un peu lent car, en même temps, je rédigeais une thèse en philosophie, j'avais autre chose dans ma vie. Une fois ma thèse soutenue, j'ai pu me consacrer à mon premier album "Adieu l'enfance".

    B&G : Quelles ont été tes influences ? Groupes, artistes, albums, chansons ?
    LF : Un certain nombre ! C'est assez difficile d'ailleurs, de distinguer entre ce que tu as aimé, ce qui t'a vraiment influencé, ce qui s'entend dans ta musique aussi. Je crois que les Smiths ont beaucoup compté, pour ce parfait mélange émo et distancié à la fois, sec et existentiel. Et puis les Pixies aussi, les riffs de Joey Santiago, les mélodies torturées de Black Francis. Il y avait un garçon au lycée qui m'aimait bien et qui m'avait copié "Doolittle" sur cassette. Il avait écrit l'intégralité du tracklisting et des paroles sur une feuille A4 au stylo à encre bleue. C'était écrit avec beaucoup de soin et en même temps à peu près illisible. Je l'ai gardée longtemps cette feuille pliée en huit (pour rentrer dans la cassette). Bon avant ça, j'étais fan de métal! J'avais des tee-shirts Metallica, et une blouse d'école où j'avais reproduit – sur le dos – à l'encre de Chine la statue de la Justice effondrée de "And Justice for all", je ne rigolais pas. Plus petite, j'adorais aussi la variété 80's que j'entendais à la radio : Daho, Eurythmics, Elsa … "Nuit, Nuit tu me fais peur...", ça me faisait pleurer. Les chansons de "Adieu l'enfance" sont un peu une réminiscence de ces sonorités, qui correspondent à mon enfance, aux émotions que j'éprouvais devant ma radio : des mélodies naïves mais recherchées, un son de batterie caractéristique, des nappes de synthés comme dans Take my breath away de Berlin.

    G: La transition variété – metal – pop indé me rappelle mon propre parcours de jeune de Province dans les années 80.
    B: Alors là, j'apprends des trucs sur mon frère !
    LF : Oui, en Province, il y a un vrai rôle du metal ! J'écoutais beaucoup Metallica, Megadeth aussi. J'aimais le côté sombre, presque métaphysique des paroles. Je voulais à tout prix apprendre la partie de guitare du début de la chanson One, un morceau de leur album "And justice for all". J'avais douze ans, je m'étais fabriqué une guitare en carton, mais ça ne marchait pas. Alors ma mère a eu pitié et m'a offert une vraie guitare. Ensuite, au collège, j'ai formé un groupe de rock avec mes copines. On était chacune attitrée à un des gars de Metallica. Moi, j'étais censée être la copine du chanteur. Je suis toujours très amie avec celle qui assurait la batterie et qui vivait un peu comme une punition d'être obligatoirement la fiancée symbolique de Lars Ulrich! J'étais un peu autoritaire, peut-être, de lui imposer ça! (Rires) Après, je suis passée aux Breeders, Nirvana, PJ Harvey, Hole. Mon grand frère m'avait fait écouter "Harvest" de Neil Young, "Goo" des Sonic Youth. J'avais un attrait pour ce qui n'était pas mainstream, je prenais conscience qu'il y avait un rock underground. C'était peut-être relativement snob aussi (rires) ! J'ai découvert The Cure après (mon frère avait un copain curiste avec une énorme moumoute sur la tête), je trouvais ça extraordinaire. Plus tard, la personnalité et le jeu de guitare de Robert Smith m'ont beaucoup marquée.

    G : Ton adolescence métal, ça me rappelle la période pendant laquelle j'écoutais Def Leppard (rires) !
    LF : Ah oui! Je me rappelle de la pochette d'un de leurs albums avec une femme assise devant un miroir, qui, à une certaine distance, apparaissait comme une tête de mort, c'était gothico-kitsch mais j'aimais bien. Ensuite, j'ai eu accès à d'autres styles de musique, à une autre culture musicale. Je me suis rendue compte qu'il y avait une autre histoire du rock, faite des gens totalement méconnus du grand public mais qui avaient compté. Le dictionnaire du rock de Michka Assayas a été pour moi une mine. J'y ai découvert par exemple un de mes groupes fétiches, le Monochrome Set.

    B&G: C'est marrant que tu nous parles de Michka Assayas car on l'a interviewé l'an dernier (cf. notre interview de Michka Assayas) et il nous avait parlé de toi, en particulier de ta reprise de cette chanson du XVIII-ème siècle Le roi a fait battre tambour. Il nous avait dit que c'était le genre de choses qu'il avait envie d'entendre et aussi de faire : créer un courant folk français, au sens de reprendre des chansons traditionnelles et de les moderniser.
    LF : Oui, et nous en avons parlé ensuite, on fera sans doute quelque chose ensemble en ce sens un de ces jours.

    B&G : Parmi les artistes récents, il y en a qui t'ont marqué ?
    LF : Récemment, j'ai adoré l'album de Fever Ray, qui est sorti en 2009. C'est le projet solo  de Karin Dreijer Andersson de The Knife. Son album est extraordinaire, une alchimie parfaite entre quelque chose de très sombre, très nocturne, presque horrifique, mais avec d'excellentes chansons, composées, écrites.

    B&G : Dans la scène française, est-ce qu'il y a des groupes que tu écoutes ?
    LF : Bien sûr ! Mustang, par exemple. C'est un groupe que j'estime beaucoup, leur proposition est vraiment originale. La Princesse au Petit Pois, pour moi, c'est un des plus beaux morceaux français des cinq dernières années : il y a une audace, une singularité, avec un rythme extraordinaire à la Can. J'aime aussi Cléa Vincent et sa façon de chanter très directe, ses mélodies, ses choix d'arrangement, à la fois très immédiats et super fins. Ricky Hollywood bien sûr, avec qui j'ai travaillé – on sort bientôt une reprise de Burgalat d'ailleurs. J'aime bien le côté sombre aussi chez certains artistes. Pas quand ça prend la forme d'un cliché marketing pour faire vendre en se donnant l'air méchant, je trouve ça un peu ridicule là au contraire. Mais les choses vraiment deep, oui. Parce que ce n'est pas qu'une pose ce rapport à la tristesse, au désespoir. Notre génération de musiciens est probablement plus sombre que ne l'étaient nos semblables il y a quinze ans, compte tenu de la situation de la musique – et des musiciens – aujourd'hui. C'est la crise, personne ne bouffe – ou peu de gens – avec sa musique. Je regrette cette paupérisation bien sûr, mais sur un plan artistique, elle me semble produire des choses plus intenses. J'aime bien le morceau de Grand Blanc Samedi la nuit avec la façon qu'a le chanteur de dire « Reviens me chercher / Je ne veux pas finir aux objets trouvés ».

    Et parmi les plus marquants du côté sombre, pour moi, évidemment, il y a Mondkopf : son dernier album "Hadès", ses projets encore plus fous (Extreme Precautions). Il vient de faire un remix du titre Zone (extrait de l'album "Adieu l'enfance") pour l'EP qui sort le 1-er juin. Et c'est une beauté ! Dans la continuité, on prépare ensemble une petite collaboration qui devrait sortir à la rentrée...

    B&G : On parlait tout à l'heure des Cure et des Smiths. Comme dans les premiers Cure et chez les Smiths, ce qui ressort dans les morceaux de la Féline et aussi dans ce remix de Mondkopf, c'est une tension, mais sans énervement, une musique épurée, avec des effets de tourbillon, avec des espaces que chacun peut combler. C'est vraiment ce que tu as voulu ?
    LF : Au départ, je pense que c'est inconscient. Ensuite, je me le suis vraiment approprié. J'aime bien cette image du tourbillon, avec un côté aquatique. Comme des chutes d'eau. Je ne suis pas trop enragée ; je crois que je fais un truc plutôt empathique, je veux prendre les gens dans les bras. En live, je suis heureuse quand ça devient fusionnel. Mais j'aime aussi la tension, et la distance que met le côté cold-wave, car la vie est tendue, contradictoire. Ma musique restitue cette forme de contradiction, de déséquilibre, de sentiment d'attente et de surprise. De la tension qui n'est pas de la rage. C'est ce que j'aime aussi dans les chansons de Robert Smith, comme A Forest. Je ne suis pas une grande technicienne de la guitare mais j'aime créer des gimmicks, des ambiances. J'ai un goût du silence et de la respiration, parce que c'est exactement ce qu'on n'entend jamais dans les musiques de fond, qui sont conçues pour combler continument le vide. Un silence, au cœur de la musique, ça a une puissance inouïe. Ça permet de retenir l'attention, c'est presque théâtral en live. La musique, c'est du temps, et du temps brisé, pas continu. Quand tu écoutes la radio, tu entends plutôt un brouhaha continu, un bavardage. C'est important d'arracher parfois la musique à ce bavardage, à sa propre puissance de remplissage, qui finit par tourner à vide justement.

    B&G : Cela se ressent dans la structure de l'album. Il y a une alternance entre des morceaux tourbillonnants comme Adieu l'Enfance, tendus et sur le fil comme Dans le Doute, ou silencieux comme Rêve de Verre.
    LF : Oui. C'est une forme de recueillement. Dans Adieu l'Enfance, il y a aussi une sensation d'ivresse, d'expérience enfantine de la musique. Quand j'étais petite, je bougeais la tête, un peu comme les enfants abandonnés.

    B&G : Ton album nous a d'ailleurs fait penser aux mangas d'Urasawa (ndlr. l'auteur de "Monster", "20th Century Boys", "Pluto", "Billy Bat"), qui sont un mélange d'innocence et de tragique, de rêve et de réalité. Il y a un rapport au temps, à l'enfance.
    LF : J'adore Urasawa ! Cette comparaison me fait vraiment plaisir. J'avais beaucoup aimé une série de lui, "Monster", dans laquelle il est question d'un monstre sans nom : c'est très enfantin et très angoissant. Dans le morceau Adieu l'Enfance, j'ai essayé de faire parler une enfant, mais sans tomber dans la minauderie. Urasawa, c'est la profondeur, voire l'horreur, adultes, confrontées aux rêveries de l'enfance. C'est un peu aussi l'idée de Rêve de Verre : le rêve qui éclate et qui se retourne contre toi, le rêve qui devient sanglant.

    B&G : Pourquoi as-tu choisi de chanter en français ?
    LF : Au départ, je chantais en anglais. Mais quelques morceaux que j'ai faits en français, par exemple Mystery Train, fonctionnaient assez bien. Ensuite, avec La Nuit du Rat et Cœur Bizarre, j'ai eu l'impression de trouver une voie, qui n'était pas de la chanson française, une manière de chanter en français en valorisant les climats, sans que le texte tue l'ambiance. Quand on chante dans sa langue, il y a une vraie puissance, même si c'est plus difficile. Sur scène, je chante avec plus de conviction car je sais exactement ce que je dis, je vois les yeux des gens s’agrandir et leurs pupilles se dilater car ils suivent une histoire.

    B&G : On apprécie d'ailleurs beaucoup toute cette scène française actuelle, qui ne fait pas de la chanson « à texte » ou de la chanson engagée, mais qui fait de la vraie pop en français. En mettant en avant des mélodies et des ambiances, qui nous font découvrir des paroles, soit qui collent parfaitement à la musique, soit qui sont en décalage avec la musique. Comme chez les Smiths !
    LF : C'est vraiment ce que je voulais faire. Et c'est très difficile. Je voulais être sincère sans tomber dans les clichés de la sincérité. J'ai fait des études littéraires mais je n'avais surtout pas envie de faire une pop littéraire, maniérée et prétentieuse. Je voulais faire quelque chose de très direct, sans voile. Et puis, je voulais aussi amener une touche féminine dans la scène française pop, qui était encore assez masculine il y a un an – ça c'est un peu renversé ces derniers mois il faut l'avouer. Même si la scène française est très influencée par le post punk, qui est une forme de virilité très sensible.

    Interview de La Féline, 28 mai 2015

    Photo du mini concert au magasin Balades Sonores le 1-er avril 2015

    B&G : On va terminer avec le questionnaire « Dernier coup ». Dernier coup de cœur ?
    LF : "Hard to be a god", un film russe de science-fiction, d'Alexei Guerman. Ça se passe sur une planète qui ressemble à la Terre au Moyen-Âge. On observe un monde réduit à l'état de cloaque, des êtres humains entre régression et folie. Ça fait penser aux tableaux de Bosch, ou à une sorte de "Game Of Thrones" de l'Est, avec une radicalité mais aussi une dérision que la série "Game of Thrones" ne pourrait pas se permettre.

    B&G : Dernier coup de gueule ?
    LF : C'est complètement bidon non Django Django?

    B&G : Dernier coup dur ?
    LF : M6 ne veut pas jouer le magnifique clip de Zone, qu'a réalisé Laurie Lassalle et qui sort le 1-er juin... Parce que c'est trop "difficile". Je vais encore devoir rester indé !

    B&G : Dernier coup de rouge ?
    LF : Je suis plutôt nez rouge que vin rouge, je n'aime pas trop le froid mais j'aime bien les gags.


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  • Interview du groupe Agency, 17 mai 2015.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Après l'Argentine (cf. interview de Mi Nave), les USA (cf. interview de Jennie Vee) et la Russie (cf. interview de Motorama), nous continuons notre tour du monde du post-punk. Direction la Turquie, avec le groupe Agency qui a bien voulu répondre à nos questions. L'interview est disponible en français et aussi en en anglais (juste après la version française).

    Pour en savoir plus sur Agency :

       - Facebook : https://www.facebook.com/agencyband
       - Twitter : https://twitter.com/agencytheband (@agencytheband)
       - Souncloud : https://soundcloud.com/agencytheband

    Interview du groupe Agency (17 mai 2015)

    Baptiste & Gérald : Quel a été votre parcours musical ? Comment vous a-t-il amené à la création de Agency ?

    Numan K. : Je joue de la guitare depuis le lycée et avant Agency je jouais dans un groupe de reprises. En même temps, je commençais à créer mes propres chansons. J'ai réalisé que faire des reprises de morceaux, ce n'était pas mon truc et j'ai quitté ce groupe. À la fin de l'année 2013, j'ai enregistré quelques-unes de mes propres compos et je les ai envoyées à Karcan Ural (bassiste) avec qui je partage un ami commun. Il a accroché et nous avons convenu de travailler ensemble et de voir ce que cela donnerait. Nous avons fait quelques répétitions avec un premier batteur début 2014 jusqu'à ce que nous rencontrions quelques semaines plus tard Mert Akgül, qui est toujours le batteur du groupe. Et enfin Batu Çetinkaya nous a rejoints aux claviers au début de cette année.

    Quant à notre nom, il vient du jeu vidéo "Hitman". Je suis un grand fan de ce jeu depuis mon enfance ; il y a une organisation, tout simplement appelée "Agency", qui attribue aux Hitman leurs missions. J'ai toujours trouvé ce nom cool et mystérieux. J'ai donc demandé aux autres membres du groupe “Que dites-vous de "Agency" ?”. Ils ont trouvé que cela sonnait bien.

    Karcan U. : Nous avions tous joué dans différents groupes et dans différents endroits avant Agency. En général, on jouait dans des groupes de reprises, mais je suppose que nous voulions plus que cela. J'ai commencé à travailler avec Numan chez lui, sur son propre matériel. C'était à la fin de l'année 2013. Tout a plus ou moins commencé comme un projet studio, mais cela a changé au moment où on a rencontré Mert Akgül. Nous avons travaillé sur la création de nouvelles chansons, pendant un certain temps, puis, comme l'a dit Numan, Batu Çetinkaya nous a rejoints au clavier, un peu plus tôt cette année. Notre premier concert a eu lieu au Peyote, à Istanbul.

    Je pense que le nom du groupe, "Agency", traduit le fait que pour nous, la musique, c'est du sérieux. Quand je pense à notre musique et à notre présence sur scène, je vois des hommes qui font les choses sérieusement. Le nom "Agency" reflète en partie cet état d'esprit.

    B&G : Quelles sont vos principales influences musicales ?

    Numan K. : Nous avons tous des goûts différents et donc des influences musicales différentes. J'aime beaucoup le Post-Punk et le groupes qui font revivre cette période, j'aime bien les voix de baryton aussi. Je suis plutôt attiré par les styles simples et minimalistes. Mert Akgül, le batteur, a un projet en solo, "Electric Blue", qui est très éloigné de ce que nous faisons avec Agency. On peut dire la même chose à propos d'autres membres du groupe. Lorsque nous nous réunissons pour répéter ou pour composer, nous sommes conscients que notre musique est plus qu'une juxtaposition de contributions individuelles. Comme la théorie de la Gestalt : “Le tout est différent de la somme des parties”. Donc je crains que je ne puisse pas dire exactement qui sont les artistes et les groupes qui nous influencés en tant que groupe. Certaines personnes et nos amis font malgré tout des rapprochements avec certains grands groupes et artistes, ce qui est très flatteur.

    B&G : Quand on écoute vos morceaux (Strawberries in a gunfight, Prolong the pleasure, ou Empty summer houses), il semble évident que vous avez de nombreuses influences communes avec le groupe russe Motorama, un peu comme si vous apparteniez à la même famille : voix profonde, guitare cristalline, section rythmique intense. Qu'en dites-vous ?

    Mert A. : Je ne connaissais pas Motorama avant, et je dois dire qu'après avoir entendu quelques-uns de leurs morceaux je suis d'accord avec vous ; j'aime bien leur son. J'aime aussi votre définition de la famille de musique à laquelle que nous appartenons.

    Numan K. : J'aime bien leur son clair de guitare et le chant imbibé de réverb. Quelques-uns de nos premiers morceaux, comme vous le suggérez, ont un caractère similaire. Mais, comme vous pourrez l'entendre, on l'espère, dans un avenir proche, notre palette sonore est en fait plus large que ce que nous avons montré jusqu'ici .

    B&G : Quels sont vos groupes favoris en ce moment et quel serait votre top 5 des albums des trois dernières années ?

    Numan K. : J'écoute beaucoup de Blonde Redhead ces jours-ci. Surtout leur dernier album “Barragan”. J'adore la voix fragile de Kazu Makino. Il y a aussi des groupes dont je ne me lasse jamais, comme Interpol, Muse, Arctic Monkeys et Editors.

    Mert A. : Ces derniers temps, j'écoute Whitest Boy Alive, Chris Joss, Kavinsky et quelques autres groupes dans ce genre, plus détente. Mon top 5 album des 5 dernières années serait : Daft Punk - “Random Access Memories” ; Flying Lotus - “You're Dead”, Electro Deluxe - “Home” , Ibrahim Maalouf - “Au Pays D'Alice”, Snarky Puppy – “We Like It Here”.

    B&G : Comment se porte la scène indie pop en Turquie ?

    Mert A. : Elle n'a cessé de se développer depuis 5 ou 6 ans. Beaucoup de nouveaux groupes émergent, avec des univers et des morceaux originaux. C'est agréable d'assister à cela ici en Turquie. Je dois dire que je nous vois bien sortir de la scène indie pop turque et devenir plus universels.

    Numan K. : Il y a des groupes comme She Past Away et The Away Days qui nous ont donné un peu de courage pour commencer à faire de la musique internationale. Il y a aussi quelques grands groupes qui font de la pop ou du rock alternatif en turc. Mais c'est juste le début. J'espère que la scène indie pop turque va continuer d'être dynamique dans les prochaines années.

    B&G : Projetons-nous un peu dans l'avenir : comptez-vous sortir un EP ou un album en 2015 ? Y aura-t-il une tournée d'Agency en Europe, avec un passage par la France ?

    Numan K. : J'espérais que vous nous posiez la question, en fait ! Nous avons déjà commencé à travailler sur notre premier EP. Nous espérons le sortir à l'automne. Il est encore trop tôt pour un LP en revanche. Nous devons travailler vraiment très très dur pour être en mesure de mieux nous exprimer en tant que musiciens. À ce stade , il est déjà suffisamment excitant de parler de faire un album et une tournée en Europe, et je suis certain que vous pourrez nous voir en concert très bientôt près de chez vous.

    Mert A. : Lorsque nous évoquons une tournée en Europe, j'ai l'impression de rêver. Mais j'espère que nous pourrons nous produire dans des festivals indépendants et des scènes locales en Europe d'ici un an ou deux. Nous aimerions bien entendu faire un concert en France un jour, peut-être l'année prochaine.

    Et maintenant l'interview en anglais ! And now, here is the interview in English !

     

    Interview du groupe Agency (17 mai 2015)

    Baptiste & Gérald : Can you describe your musical background ? What is the story of your band ?

    Numan K.: I’ve been playing the guitar since highschool and before Agency I used to play in a cover band. At the same time I began to create my own tunes. I decided that covering other bands’ songs was not my thing and left that band. In late 2013, I recorded some of my own stuff and sent them to Karcan Ural (bass player) with whom I shared a mutual friend. He liked them and we agreed on working together and see what happens. We had a few rehearsals with another drummer in early 2014 until we met Mert Akgül a few weeks later who has been the drummer in the band since. And finally Batu Çetinkaya joined us on the keyboard earlier this year.

    As for our name, it comes from the video game “Hitman”. I’ve been a big fan of it since my childhood and there’s this organisation there briefly called “Agency” which assigns the Hitman his missions. I’ve always found it cool and mysterious. So I asked the guys “What about Agency?” and they thought it sounded nice.

    Karcan U.: We all had played in different bands and performed in various places before we got together. Most of the time, it was a cover band but I guess we wanted more than that. I started working with Numan on his material at home. It was late 2013 when we met. It kind of started as a recording project but only went on so until we met Mert Akgül. We worked on creating new songs for some time and Batu Çetinkaya joined us earlier this year on the keyboard. Our debut gig was at Peyote, Istanbul.

    I think “Agency” reflects our seriousness about music. When I think about our music and our stage presence, I see gentlemen who are serious about what they’re doing. The name “Agency” is a part of this presence.



    B&G : Can you tell us about your main musical influences ?

    Numan K. : All of us actually have different tastes and therefore musical influences. I like many Post-Punk/ revival bands and baritone vocals. I’m into simple and minimalistic styles. Mert Akgül, the drummer, has his ongoing solo project “Electric Blue” for example which is nowhere near what we do as Agency. Same can be said about other members of the band. When we get together to practice or compose, we are aware that our music is more than what we individually contribute. Like the Gestalt effect: “The whole is greater than the sum of its parts.” So I’m afraid I can’t exactly tell which artists and bands influenced us as a band. Of course, we hear comparisons to some great bands and artists from our friends and other people which is very flattering.

    B&G : When we listen to your songs (Strawberries in a gunfight, Prolong the pleasure, or Empty summer houses), we can note that you share a lot of influences with the Russian band Motorama, that you belong to the same family : deep voice and singing, crystalline guitars, intense rhythm section. Do you agree ?

    Mert A.: I'd never listened to them before, and after hearing some tracks of Motorama, I think I agree. I like their sound and I also like your definition of the music family that we both belong to.

    Numan K.: I like their clean guitar sound and reverb-drenched vocals. Some of our first tracks, as you suggest, have a similar character. But as you’ll hopefully hear in the near future, our sound range is actually wider than what we’ve shown so far.

    B&G : What kind of music do you listen to nowadays ? Can you name a few bands you like in particular? What is your Top 5 Albums for the last years (2013 – 2014 – 2015) ?

    Numan K.: I listen to a lot of Blonde Redhead stuff these days. Especially their last album “Barragan”. I love Kazu Makino’s fragile voice. Also, there are bands like Interpol, Muse, Arctic Monkeys and Editors that I never get bored of.  

    Mert A.: Nowadays I listen to Whitest Boy Alive, Chris Joss, Kavinsky and some other chill out music. My top 5 album for the last 5 years would be Daft Punk - “Random Access Memories”, Flying Lotus - “You're Dead”, Electro Deluxe - “Home”, Ibrahim Maalouf - “Au Pays D'Alice”, Snarky Puppy - “We Like it Here”.

    B&G : Can you say a few words about the Turkish indie pop scene ?

    Mert A.: It's been constantly growing in the last 5 or 6 years. So many new bands come up with original tunes. It's nice to see this happening here. But I can really see ourselves grow out of Turkish indie pop scene and become more universal.

    Numan K.: There are bands like She Past Away and The Away Days who gave us some courage to start making international music. There are also some great bands that make pop or alternative rock with Turkish lyrics. This is just the beginning, though. I hope there will be a much livelier indie music scene in Turkey in the next years.

    B&G : Let’s talk about the future: do you plan to release an EP or an album in 2015 ? Do you plan to tour around Europe, and maybe there in France ?

    Numan K.: I was hoping you’d ask that, actually. Yes, we have already started working on our debut EP. We will hopefully release it in Fall. But it’s really too early for an LP. We must work really really hard to be able to express ourselves better as musicians. At this point, it’s really exciting even to talk about making an album and touring in Europe but I’m quite confident you’ll be seeing us around there soon enough.

    Mert A.: When we talk about touring in Europe, it sounds dreamy to me. But I hope we'll be able to perform in indie festivals and local stages in Europe in a year or two. Of course, we'd love to have a gig in France some day, maybe next year.

    Interview du groupe Agency (17 mai 2015)


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  • Interview d'Alex Rossi – 10 mars 2015 – Le Pop In (105, rue Amelot – 75011 Paris).
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview d'Alex Rossi (10 mars 2015)

    Alex Rossi sera chargé de clore la première édition de This Is French Pop qui aura lieu le 10 avril au Pop In. Espérons qu'après Digitale Sanguine et Sans Sebastien, vous aurez encore de l'énergie pour reprendre L'Ultima Canzone, Ho Provatto Di Tutto, et peut-être de nouveaux morceaux italo-pop... Nous l'avons rencontré au début du mois de mars et avons passé un long moment à discuter de la construction de ses goûts musicaux, de son parcours, de ses publications...

    Baptiste & Gérald : Quels ont été tes premiers émois musicaux ? Pourquoi as-tu eu envie de te lancer dans cette voie ?
    Alex Rossi : Je suis né en 1969, j'ai grandi dans les années 80. Mes parents écoutaient beaucoup de variété française dans les seventies, ils n'achetaient que des 45 tours donc que les tubes du moment: Delpech, Claude François, Matia Bazar, Abba, Polnareff, Christophe, Joe Dassin etc...Mon père se rêvait producteur, ce qu'il a tenté de faire...Il est sorti avec une clodette pendant quelques mois.
    Début 80, un mercredi devant la télé, je tombe sur un vidéo-clip d'un type déguisé en auguste, c'était David Bowie avec Ashes to ashes. J'étais comme magnétisé. C'est le premier disque de ma discothèque personnelle, que j'ai volé en magasin. Puis j'ai entendu Week-end à Rome d'Etienne Daho à la radio. Quand tu tombes amoureux à 13, 14 ans tu te dis que c'est du sérieux et donc Daho, ça me parlait. Daho a été particulièrement important, comme un grand frère, un véritable passeur.  C'est grâce à lui que j'ai écouté Elli et Jacno, le Velvet, les Smiths et toute la scène rennaise. Comme je suis du Gers et donc tout près de Toulouse, je découvre Les Fils De Joie qui commencent à avoir une notoriété bien au-delà de la région avec le morceau Adieu Paris. J'étais aussi fasciné par Taxi Girl, leur côté beau et dangereux, ambigu sexuellement parlant. Par contre je détestais Telephone ! J'écoute beaucoup Stéphan Eicher et son premier album solo "Les chansons bleues".

    Interview d'Alex Rossi (10 mars 2015)

    Dans mon bled, j'avais un pote de 10 ans mon ainé qui m'a fait découvrir beaucoup de groupes anglais comme Les Stranglers, TV Personalities, Aztec Camera, The Jazz Butcher, New Order. Puis toute la vague de Manchester en 89: Stone Roses, Ride, James, Jesus and Mary Chain, que je vois pour la plupart en concert au Rockstore de Montpellier, où je suis à la fac de cinéma. Bref, ma culture musicale est totalement POP au sens large du terme.

    B&G : Pendant cette phase de découverte, tu commences à jouer ?
    AR : Mes meilleurs amis montent un groupe et veulent me faire chanter en anglais. J'étais pas contre, vu mes influences, mais j'avais un accent pourri, aucun groove! Je leur ai dit d'avancer sans moi. Je commence à écrire des textes dans mon coin, des nouvelles, des poèmes en prose car la littérature devient très importante pour moi. Je lis Le bleu du ciel de Bataille puis Zone érogène de Djian, puis Bukowski, puis John Fante. J'aime leur phrasé court, leur économie de mots qui va à l'essentiel. Une influence majeure quand j'écrirai mes premiers textes de chanson par la suite...
    A 16 ans, je fais un essai à Radio 32, la radio du Gers et je suis pris pour animer une émission hebdomadaire pop-rock. Un an après, en 86, je bosse le vendredi et samedi soir comme DJ dans un club qui s'appelait La nuit. C'était un gros club qui pouvait accueillir plus de 1000 personnes.  La programmation était intégralement pop et rock. Le patron me payait 300 francs chaque soir, au black puisque j'étais lycéen, j'avais l'impression de commencer à gagner ma vie, je claquais tout en disques, livres, j'invitais des filles au resto... Un soir, un garçon vient me parler et me dit qu'il écoute mon émission radio. Jean-Philippe fait de la musique très influencée pop anglaise. Je lui dis que j'écris des textes « pour le plaisir » et lui en file 2 ou 3. Quelque temps après, il revient avec une chanson. Elle s'appelle La nuit américaine. C'est la première  que je co-signe et que je chante, pas très juste...On en a fait quelques autres ensemble mais sans lendemain. Puis je rencontre Marc Minelli, de passage à Auch pour un concert. J'adorais son album Faces produit par Jérôme Soligny, surtout sa chanson Love atomic. Marc avait (et a toujours) une voix et un charisme incroyables. Il me propose de lui envoyer des textes. Quelques mois plus tard je pars enregistrer 4 titres chez lui au Havre mais qui ne verront jamais le jour. A l'aube des années 90, j'ai pas encore trouvé ma voie, je me cherche mais je n'abandonne pas... Je me suis toujours laissé porter par des compositeurs. Je ne me suis jamais mis à fond sur un instrument. Ca a été toujours comme ça, et c'est encore le cas aujourd'hui. Ca m'arrive de trouver des mélodies voix mais pas plus que ça. Il me faut toujours un compositeur.

    B&G: Tu signes avec un label dans les années 90?
    AR: Je me suis installé à Paris en 93. J'ai bossé dans le cinéma, je faisais un peu de tout , j'ai travaillé à la télé, comme barman aussi...Mais je continuais à écrire et enregistrer des chansons avec Pierre Barguisseau, qui venait de travailler avec Frank Darcel. C'était un peu mon mentor qui drivait artistiquement mon projet solo. Je démarchais les maisons de disques moi-même, avec mes maquettes. Pendant 3 ou 4 ans, j'ai dû faire une centaine de rendez-vous avec des directeurs artistiques. Je chantais dans les bars, sur des péniches où j'ai ouvert pour Marie France entre autres... Et j'ai signé avec un producteur indépendant, qui m'a ensuite fait signer chez Mercury en 97 pour une poignée de singles (Le coeur du monde, Ma vie privée...). Mercury c'était le label show-biz par excellence, le label de Johnny, Pagny, Elton John, Texas etc...Bref la grosse machine. Pendant trois mois, les équipes du label sont derrière toi, mais ensuite, si cela ne va pas assez vite à leur goût, si ton single ne passe pas sur NRJ, on te met au placard. La seule bonne chose que je retire de cette expérience, c'est ma rencontre avec Frédéric Lo, qui était aussi signé chez eux. Un an après la fin de mon contrat chez Mercury, j'ai signé chez Edel, un label de Sony, en 2001. Pas concluant non plus. Quelques années un peu chaotiques donc... Et puis de 2002 à 2006, j'arrête de chanter pour moi, j'écris pour les autres, pour Axel Bauer et même Dick Rivers. Je vois beaucoup Frédéric Lo, qui compose Crève-coeur pour Daniel Darc. Je fais quelques chansons avec Fred, qu'on essaie de refiler à la variét' française. Je fonde Ballu, un collectif musical situ-punk avec le journaliste et écrivain Arnaud Viviant et Stéphane Hermlyn (ex Shredded Ermines). On s'amuse bien. Puis en 2006, j'enregistre tout un album avec Viens par ici en premier extrait, mais qui ne verra jamais le jour.
    J'ouvre alors une page Myspace et le redac chef du tout jeune Gonzaï me contacte et fait un chouette papier + interview sur mes chansons. C'est aussi à ce moment-là que je rencontre virtuellement Romain Guerret aka Dondolo. Je me faisais des nouveaux potes sur Myspace, on s'envoyait des chansons... C'était très frais, et très foisonnant ! Je refais des concerts dans les premières soirées Gonzai entre autres... Je sors en 2010 un Ep "My Life Is A Fucking Demo" en toute « clandestinité », dans la piaule de  Dominique Pascaud, mon nouveau compositeur et compagnon de scène. Il y a Chair Et Canon, Rouge Est Mon Nom... Mais ces morceaux mériteraient d'être un peu plus produits, même si le côté brut, dans l'urgence, est intéressant.

    Ensuite, j'ai écrit Je Te Prends, toujours avec Dominique Pascaud. On l'avait écrit pour quelqu'un d'autre à l'origine, une fille qui devait signer chez une major, mais le plan est tombé à la flotte. Puis Inès Olympe Mercadal, qui vient de la mode, me sollicite pour la faire chanter. je lui fais écouter Je Te Prends, on l'enregistre avec ma voix témoin pour la guider et la chanson finit en duo ! C'est aussi à ce moment-là, vers 2011, que je rencontre Marc Desse qui sortait son premier 45 tours, Petite Anne, sur un label américain basé à San Diego – Bleeding Gold Records. C'est Marc qui parle de Je Te Prends à ce label, dont le patron adore la french pop, même s'il ne parle pas un mot de français ! Il a sorti le titre en vinyle.

    B&G : Et puis vient ta période « italienne » ?
    AR : J'ai écrit et chanté ma première chanson en italien en 2006 qui faisait parti de l'album pas sorti, elle s'appelle Tutto, ça parle de mes origines italiennes, de mon père, de mon grand-père etc...
    Depuis 2007-2008, avec Romain Guerret, on se disait qu'on pourrait faire une chanson tube en italien. On aime le même style de variété italienne : Lucio Battisti, Matia Bazar, Adriano Celentano... Ce côté léger, un peu kitch, tout en étant mélancolique, voire triste, et d'une efficacité romantique absolue ! En 2012, lors d’un des séjours de Romain chez moi à Paris, on en reparle, et là je me suis vraiment motivé. J’ai trouvé le titre, L’Ultima Canzone, puis j’ai écrit un refrain, et enfin l’ensemble du texte. J’ai envoyé le tout à Romain. Une semaine après il m’envoyait une mélodie. J’ai tout de suite adoré. Arnaud Pilard est rentré dans la partie pour finir avec lui les arrangements et la réalisation du titre. J'ai fait écouter la chanson autour de moi, dont le duo de réalisateurs Gautier&Leduc qui ont fait le clip dans la foulée. On a mis la vidéo sur YouTube, et le morceau a bien circulé. Technikart et Gonzai ont fait des papiers dithyrambiques bien avant sa sortie. C'est comme cela que JB de Born Bad Records est tombé sur la chanson et a décidé de la sortir. Je pensais qu’on ne ferait qu’un remix en face B, mais le label a voulu un autre morceau original. Alors on a fait Ho Provato Di Tutto. Pour cette chanson, j’ai écrit le texte sur la mélodie, alors que c’était l’inverse pour L’Ultima Canzone. Au final, le disque est sorti au même moment que l’album d’Aline « Regarde Le Ciel » – ce n’était pas prévu ! – mais ça ne faisait pas doublon, ça n'a rien à voir...Il n’y avait pas vraiment de stratégie, c’est une histoire de copains, d’amitié…Quand je sors, des gens que je ne connais pas m'en parlent tout le temps.

    B&G : Bientôt un prochain album en italien ?!
    AR : A l'heure où je vous parle, j'ai un EP de prêt en italien. Toujours avec Romain Guerret, Arnaud Pilard, mais aussi Dominique Pascaud et un jeune pote sicilien Rosario Ligammari entre autres...Le prochain single, la suite logique de L'ultima canzone, est mixé et masterisé. Je vais faire le clip que je voudrais sortir avant l'été. Donc un EP sûr, voire un album d'ici fin septembre...En attendant vous pouvez toujours aller écouter la reprise que j'ai faite avec Frédéric Lo pour la compilation hommage à Jacques Duvall, le plus grand parolier belge francophone, qui s'appelle La chanson la plus triste du monde, c'est en français.... ( https://jacquesduvall.bandcamp.com/track/la-chanson-la-plus-triste-de-monde).

    B&G : Rassure-nous, L’Ultima Canzone sera dans l’album ?!
    AR : Obligé ! C’est le point de départ. Tout comme Ho provato di tutto!

    B&G : On a hâte ! Et pour finir, le questionnaire « Dernier coup » ! Dernier coup de cœur ?
    AR : Digitale sanguine
    B&G : Le dernier coup de gueule ?
    AR : Contre les huissiers...
    B&G : Le dernier coup de rouge ?
    AR : Je me suis ouvert le front dans les chiottes du café Chair de poule, je n'étais pas ivre, y'avait plus de lumière. J'y ai mes habitudes. Je vous recommande leur Chinon naturel.


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